Vingt-neuf ans, est-ce vieux ? Quand je regarde ce qui nous entoure aujourd’hui, j’ai l’impression que oui. Car les survivants sont ceux qui étaient dans une forme olympique, et qui ont pu courir encore et encore pour s’abriter. Alors, si l’on suit la logique des choses, c’est moi qui aurais dû mourir dans la famille, pas ma petite sœur.

Nous étions trois : moi l’aîné, âgé de trois ans de plus que ma petite sœur, et de six de plus que mon petit frère, Dae Mon. Entre ma naissance et celle du petit dernier s’est passé bien des choses. Mon père en tout premier lieu. Cet homme qui a tout abandonné, laissant trois enfants aux bras d’une mère impuissante.

Lui est partit pour gagner de l’argent, pour devenir riche et odieux. Encore que pour ce dernier, le travail était déjà bien entamé. Né dans la banlieue de Séoul, j’ai connu la misère toute mon enfance, mais le départ de notre père fut comme un dernier coup de massue pour nous enfoncer. Dae Mon ne doit pas avoir de souvenir de lui, et je l’envie pour ça. J’aurais tellement voulu ne pas avoir à détester autant mon père…

J’ai dû prendre sa place, être l’homme de la famille et prendre soins de ma sœur et mon frère, comme un père digne de nom l’aurait fait. Je prenais aussi soin de ma mère. Nous ne marchions pas sur l’or, et très vite, j’en suis venu à escroquer les autres afin d’apporter de quoi vivre décemment. Dois-je me sentir coupable d’avoir trainé avec moi Dae Mon, et d’avoir fait de lui un escroc, tout comme moi ?

Mais revenir en arrière ne change pas le présent. Aujourd’hui, tout est différent. Il y a ce tremblement, ma sœur n’y a pas survécu, elle est morte devant mes yeux, et devant ceux de Dae Mon, tous deux impuissant. J’ai dû forcer mon petit frère à fuir pour qu’il ne reste pas là à mourir à ses côtés.

C’est certainement ça qui a fait que nous nous sommes séparés, chacun dans un clan différent. C’est mieux ainsi d’ailleurs, je ne l’ai pas dans les pattes.